J'ai confié mon enfant à l'adoption
Famili n°215 février-mars 2012
Sa fille Orfée a 8 mois quand Edwige est à nouveau enceinte. C’est le bonheur mais la grossesse est difficile face au probable handicap de son bébé. Ulysse vient au monde…
De la joie à l’angoisse
« Lorsque j’annonce à Patrick, mon mari, que j’attends un bébé, il est fou de joie. Avoir 2 enfants si rapprochés, c’est inespéré après un parcours d’infertilité de deux ans et demi. Mais notre joie est de courte durée. Je suis enceinte de deux mois quand une échographie révèle un oedème sur la nuque du foetus et un placenta décollé. Les examens s’enchaînent, une trisomie est suspectée puis écartée. Il s’agit peut être d’une maladie génétique. Les médecins ne sont pas d’accord entre eux quant à la gravité du handicap qu’elle pourrait entraîner. Le foetus est par définition en constante ébullition et, à ce stade de la grossesse, il est difficile de se prononcer. Le mot IMG (interruption médicale de grossesse) est prononcé mais il faut attendre.
Choc et questionnements
C’est le choc. Aurais-je le cran d’interrompre cette grossesse ? Je sais aussi que je ne serai pas capable d’élever un enfant malade ou très handicapé, je crois que je préférerais le confier à l’adoption. J’y pense, car lorsque nous essayions de faire un bébé sans succès, nous l’avions envisagée.
Et c’est lors de ces démarches que mon point de vue sur les femmes qui confient un enfant à l’adoption a changé. J’avais toujours pensé qu’elles étaient de mauvaises mères. Qui sommes-nous pour juger ? J’ai réalisé que dans le mot abandon, il y a don. Et dans confier, confiance. Confier son bébé à l’adoption, c’est lui offrir une vie meilleure que celle qu’il aurait eu avec ses parents, sa mère de naissance. Pour la première fois, j’envisage l’adoption comme un véritable choix parental. Patrick, lui, est choqué, il doute que j’aille jusqu’au bout et est favorable à une IMG. Nous sommes en décalage complet !
Que ces neufs mois sont éprouvants ! Attendre un bébé se vit aussi dans la tête […] j’ai du mal à investir cette grossesse, besoin d’avoir des certitudes, très envie qu’elle se termine. La santé de notre bébé, que nous appellerons Ulysse, est au coeur de toutes nos discussions. Il n’y a qu’elle. Les jours passent et je ne suis plus certaine du tout de ce que je veux pour Ulysse…IMG, adoption ?
Mais une petite voix intérieure me souffle que tout va bien se terminer, je veux y croire et m’appuie sur le médecin le plus optimiste quant à l’avenir de notre fils. […] La fin de la grossesse approche et le diagnostic médical s’est affiné. Mon fils ne serait atteint que d’une cardiopathie opérable […] De ce fait, une IMG n’est plus autorisée. Plus confiants, nous ne pouvons cependant nous empêcher d’être inquiets.
La rencontre avec Ulysse
La naissance se passe bien, et très rapidement. Lorsque je croise le regard de mon fils, je me sens envahie d’un amour immense, un amour si puissant qu’il me semble ne pas en avoir ressenti d’autre auparavant.[…] Ulysse est beau […] Son cou est tonique, il redresse la tête. Non, mon enfant n’est pas handicapé. Je l’allaite.
Une dizaine d’heures après sa naissance, Ulysse fait un malaise. Quand je le revois, dans le service de néonatalogie, il a des tuyaux partout. […] Les médecins ne comprennent pas ce qui se passe. Apparemment la cardiopathie est plus complexe que ce qui avait été détecté avant sa naissance. Les mauvaises nouvelles s’enchaînent. Ulysse a maintenant 5 jours. […] Les médecins nous expliquent qu’il est atteint du syndrome de Nooman, une maladie génétique très rare qui entraîne des problèmes cardiaques, respiratoires, digestifs, sanguins… J’ai dû faire quelque chose de mal pour que notre bébé soit dans cet état ! La décision de Patrick est prise, il souhaite le confier à l’adoption. Moi je ne sais plus où je vais. aurais-je le courage de signer l’abandon ? Notre entourage est horrifié. Rapidement nous cessons d’en parler. Dans l’imaginaire collectif, seul un monstre abandonne son enfant.
Au revoir
Les semaines qui suivent sont déchirantes. Nous disons « au-revoir » à Ulysse. Je n’ose plus m’appeler maman, j’effleure mon bébé du bout des doigts. Plus tard, devant l’assistante sociale du bureau des adoptions, nous maintenons notre décision d’abandon. Cette femme a l’intelligence de ne pas nous juger et répond à nos interrogations : oui, certains parents sont prêts à adopter un enfant malade. La pédopsychiatre de la maternité, elle, est très culpabilisante…Après plusieurs rendez-vous avec l’assistante sociale, nous signons le procès verbal.
Généralement l’abandon se fait dans le cadre d’un accouchement sous X, nous sommes donc dans une situation rarissime. L’assistante sociale coche la case « adoption plénière », et mon coeur se vrille. Je me sens soulagée, mais aussi coupable. Nous avons deux mois pour nous rétracter. Les jours passent. Je pense à mon bébé. Nous écrivons une lettre à notre fils dans laquelle nous mettons de nombreux renseignements et photos. Notre fils doit pouvoir nous retrouver plus tard s’il le désire.
Ulysse décède à un mois d’une leucémie, une complication de sa maladie. […] La culpabilité me ronge : est-ce parce que je l’ai confié à l’adoption qu’il est mort ? Ulysse, je t’ai abandonné mais je t’ai surtout aimé…Le lendemain de son décès, nous envoyons une lettre de rétractation. Ulysse redevient notre fils. S’il n’était pas mort, serais-je allée jusqu’au bout, l’aurais-je abandonné ? Quatre ans après, je ne le sais toujours pas. Ce que je sais en revanche, c’est que se séparer de son enfant ne signifie pas ne pas l’aimer. On le fait dans son intérêt. […]
L’IMG est une épreuve terrible, et l’alternative qu’est l’adoption, méconnue. Peut être cela conviendrait-il mieux à certaines mères mais il faut assumer la réprobation sociale.