Le choc de la Découverte
L’annonce d’un possible handicap lors d’un examen de diagnostic prénatal c’est évidemment un très grand bouleversement, une très grande violence qui est faite aux parents qui vont recevoir ça comme une agression, comme un drame imprévu qui les fragilise considérablement. D’emblée on se pose plein de questions, on se projette dans l’avenir, on a infiniment de trucs qui viennent nous percuter. Quel est ce handicap ? Est-il certain ? Comment ça va se passer ? Beaucoup d’angoisse. Cette période, est inévitable parce que cette confrontation à la mauvaise nouvelle a forcément quelque chose de très violent. Il est sûr aussi que prendre conseil rapidement, se faire entourer, essayer de prendre un peu de distance par rapport à cette nouvelle va sans doute être un des moyens de retrouver un peu de paix et de pouvoir continuer à avancer en réfléchissant à : comment est-ce qu’on peut vivre ça ? et qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse maintenant ?
Consulter pour mieux comprendre
Par rapport à l’annonce du handicap, il y a une vraie question qui est de connaître le handicap en question. De quoi s’agit-il. C’est sûr que ce n’est pas forcément le médecin qui l’annonce qui le connaît bien. Ni l’échographiste, ni l’obstétricien ne sont spécialistes de telle ou telle pathologie. Si les parents ressentent le besoin de mieux comprendre de quoi il s’agit : quelle est cette maladie, quel est ce handicap, quelle est cette déficience dont on me parle ? Qu’est-ce que ça implique pour mon enfant ? Ils vont avoir besoin peut-être à un moment de prendre le temps, de réfléchir. Ils peuvent avoir besoin de rencontrer des soignants qui connaissent bien la prise en charge d’enfants souffrant de la même pathologie. Ça peut vraiment être très aidant pour bien comprendre de quoi il s’agit. Pour bien là aussi prendre la bonne distance et peut-être faire tomber un certain nombre de fantasmes et de peurs sur telle ou telle pathologie. On pense par exemple évidemment à la trisomie avec toutes les inquiétudes qu’elle suscite. Peut-être que la rencontre avec des personnes qui connaissent vraiment très bien cette pathologie peut dans certains cas pour certains parents être vraiment une grande nécessité et d’un grand réconfort.
Les relations avec les soignants
La relation avec les soignants est toujours complexe et délicate parce qu’ils annoncent une mauvaise nouvelle. Ils sont porteurs de toute cette angoisse associée à la question du handicap. Et puis ils vont souvent faire une forme de pression même si ces soignants ont le désir de respecter la liberté des familles. Au fond ils font quand même pression parce qu’il y a « une sorte d’urgence ». Il faut se décider, il faut faire quelque chose, peut-être faut-il faire d’autres examens. Peut-être les soignants sont-ils tentés de pousser la famille vers l’interruption médicale de la grossesse assez rapidement et donc évidemment cette relation est vite une relation tendue, difficile. Comment faire pour l’apaiser ou pour trouver un bon niveau relationnel ? Je crois que ça n’a rien de simple. Je pense déjà que les parents doivent essayer de trouver des conseils sages, des conseils pondérés, des conseils qui aient un peu de distance par rapport à ça. Sans doute que par exemple le médecin de famille peut être quelqu’un de très aidant, des personnes qui connaissent bien le handicap dont on parle éventuellement peuvent aussi être des sources d’appui très solides. On peut imaginer aller chercher des soutiens qui vont permettre de prendre un peu de distance et de construire une relation moins difficile.
Le temps, Urgence et Pressions
Je pense que la question du temps est une question majeure. Il y a une grande tension autour de ça. D’abord il y a les soignants qui sont pressés pour plein de raisons. Pressés parce que face à une inquiétude, face à un diagnostic de pathologie plus ou moins sévère ils vont avoir besoin de faire des examens complémentaires. Ils vont peut-être demander recours à une commission départementale sur le diagnostic prénatal. Il y a des étapes. Et puis se pose la question : faut-il aller vers l’avortement ? Faut-il aller vers l’interruption de cette grossesse et à ce moment-là il y a des délais à respecter dans certains cas. Dans d’autres cas, plus l’enfant va grandir et plus cet avortement va être compliqué. Plus il peut s’agir d’un geste qui va avoir une certaine lourdeur, une certaine agressivité et donc les soignants veulent aller vite pour éviter cette difficulté.
Un temps en tension
Il y a une vraie pression du temps. Il y a sûrement plein d’autres raisons encore qui font que la pression est forte, les familles le ressentent très bien. Les soignants aussi ont d’un certain côté envie que ça aille vite parce que c’est lourd parce que c’est difficile d’accompagner des familles dans ce contexte. Donc le temps est un enjeu majeur et a contrario on a besoin du temps. C’est le temps, c’est les quelques jours, les quelques semaines de réflexion, de prise de distance qui vont permettre d’abord d’encaisser ce choc épouvantable de l’inquiétude d’une maladie pour mon enfant. Et puis qui vont permettre tout doucement de mieux comprendre ce dont il s’agit, de mieux comprendre les enjeux, de me positionner ou de nous positionner en couple. Sommes-nous prêts à accueillir cet enfant ? Comment faire ? De quelle maladie s’agit-il ? Que peut-on faire pour l’aider, pour le soigner, pour son bien… ? Et donc cette tension est immense entre d’une part le souci d’aller vite, de vite régler ce problème si on peut dire. Et puis d’un autre côté ce besoin d’une respiration, ce besoin de temps qui est vital pour qu’une vraie liberté puisse s’exprimer.
Le temps et les soignants
Il y a cette tension autour de la question du temps. D’une part les soignants qui sont pressés pour plein de raisons on l’a dit. D’autre part les parents qui ont besoin de temps pour accueillir, pour comprendre cette nouvelle et pour s’ajuster par rapport à elle. Dans la question de l’urgence que ressentent les soignants il y a aussi parfois ce souci que les parents « n’investissent pas trop leur enfant. » Et au fond dans certains cas les soignants sont tentés de penser que plus on va aller vite moins il y aura de peine, moins il y aura de souffrances, moins il y aura de deuil. Ça ne me semble pas si évident que ça, pas si certain. Mais en tout cas c’est aussi un des éléments qui pèsent dans cette question du temps. Ce souci de la part des soignants peut-être de libérer des parents au plus vite de la présence de cet enfant qui inquiète pour éviter que ne s’inscrive trop d’affection, trop d’amour. Je pense qu’il y a une forme d’utopie derrière tout ça et qu’au fond le questionnement qu’ont les parents sur leur propre enfant est aussi une forme d’investissement très fort et que la question du temps n’y change pas tant que ça et qu’on a besoin du temps indiscutablement.
Découverte du handicap à la naissance
C’est vrai que lorsque le handicap est découvert à la naissance ou bien dans d’autres contextes comme des dénis de grossesse ou autre les soignants ont tendance à ne pas donner l’enfant tout de suite à la maman mais à le mettre de côté. Du côté où on le réchauffe où on lui fait sa toilette, donner un peu de distance pour laisser un temps, un espace, la possibilité de l’abandon. Ça se comprend dans une logique qui est la logique d’aujourd’hui et du point de vue qu’ont les soignants. Mais il faut bien voir aussi que du point de vue des parents il y a une difficulté-là qui est que pour accueillir cette réalité du handicap de mon enfant, j’ai quand même grand besoin de le voir, de le toucher, de le sentir, de le câliner enfin de le prendre dans mes bras. Et donc il y a là aussi une tension finalement entre parfois les soignants qui veulent protéger ou garder une possibilité pour une forme d’abandon à ce moment-là. Et puis des parents qui auraient besoin au fond pour vraiment accueillir, de pouvoir prendre leur enfant dans leurs bras. Sans doute que les parents doivent, à ce moment-là, savoir dire : «je veux le voir, je veux le prendre, j’en ai besoin. »
Les relations avec les proches
L’annonce d’un possible handicap, ou d’une inquiétude en prénatal va percuter notre relation avec nos proches d’une façon qui n’est pas simple. Parce qu’à la fois on cherche de l’aide, on aimerait des conseils, on aimerait être encouragé, avoir des conseils sages. Et puis en même temps on a aussi intuitivement cette peur de cette foule de conseils, de recommandations. Cette espèce de pression amicale, gentille, bienveillante, mais qui va nous submerger de paroles, de contacts, d’idées, de trucs à faire, de gens à rencontrer, de médecins à aller voir… Et je pense que cette relation n’est pas forcément évidente. J’ai beaucoup d’exemples en tête de personnes qui témoignent de ces difficultés dans la relation avec les proches. Il faut savoir aussi que le couple concerné ou la mère si elle est malheureusement trop isolée, mais enfin souvent quand même le couple concerné par l’annonce du handicap est profondément blessé par cette annonce, par cette nouvelle et peut lui même être assez indélicat, assez brutal et rejeter toute cette bienveillance qui aimerait venir à leur secours et qui est souvent un peu inadapté il faut bien le reconnaître. Ajustement pas simple, là aussi à caler avec prudence en prenant le temps, en allant chercher des personnes qui sont plutôt dans l’écoute que dans une parole trop présente qui n’est pas forcément aidante. On a besoin je pense, de proches qui soient là à la disposition pour écouter avec beaucoup de délicatesse, et pas forcément d’autre chose. Les parents ont leur chemin à faire tout doucement. Il faut prendre le temps de trouver les relais qui vont être les bons relais.
Difficile d’accueillir les infos reçues
Lors de l’annonce du handicap que ce soit en prénatal ou au moment de la naissance, assez souvent très tôt des personnes pleines de bienveillance vont venir nous apporter plein d’informations sur une multitude d’associations, de moyens, de mouvements, d’initiatives en faveur des personnes souffrant de ce type de handicap, de leur scolarisation… et bien sûr cette démarche part d’une bonne intention. Mais pour ceux qui reçoivent cette information déjà du handicap de leur enfant, voir arriver en plus toutes ces informations brutalement et très précocement est parfois ressenti comme une grande violence. Déjà c’est difficile d’accueillir mon enfant trisomique par exemple mais on vient me rappeler dans les instants qui suivent qu’en plus pour défendre sa place dans la société il faudra que des associations me soutiennent et puis en plus peut-être pour le scolariser un jour j’aurai besoin d’aide parce que ce ne sera pas évident. Donc on vient me rajouter un fardeau supplémentaire par rapport à tous ceux que j’ai déjà sur les épaules. Ça peut être vécu comme une très grande violence. C’est un peu dommage parce que leurs conseils à ces mouvements, ces personnes impliquées, ceux qui connaissent bien le handicap, la maladie en question est infiniment utile souvent. Et in fine ça va rassurer, donc bien sûr que ces contacts sont précieux. Mais attention, en tout cas, précocement ils peuvent être très très mal ressentis. Il faut là aussi trouver le temps. Trouver le temps de faire arriver ces informations au moment opportun, lorsque les parents, le couple qui accueille cet enfant souffrant d’une maladie ou du handicap a pu trouver le recul nécessaire.
Le regard des autres
C’est sûr que le regard des autres c’est une réalité qui va percuter très fort la famille concernée par l’annonce ou l’accueil du handicap. C’est une peur aussi. Comment allons-nous assumer ça ? Parce qu’on sait bien que le regard des autres ne va pas tous les jours être facile. Et d’ailleurs la posture des soignants qui parfois, va faire une assez forte pression en faveur de l’interruption de la grossesse n’est pas forcément aidante. Parce qu’elle traduit au fond un regard sur le handicap qui n’est pas un regard d’accueil mais un regard de rejet d’une certaine façon. Et on voit bien que ça commence très tôt. Et on sait bien, on le sent intuitivement que la question va se jouer dans la famille, à l’école, en faisant des courses en ville, partout, à la crèche, plus tard peut-être au collège.
Apprivoiser le regard des autres
Oui, le regard posé sur la personne handicapée n’est pas toujours un regard accueillant. Et oui plus le handicap se voit, plus c’est difficile à vivre. Le handicap caché intérieur, l’opération qui vous répare d’une malformation est moins visible. Mais le handicap qui se voit, le handicap physique, manifeste, la trisomie 21 que je porte sur mon visage, ce handicap-là est difficile à vivre. Oui les familles rencontrent, et les personnes handicapées elles-mêmes bien sûr, avant tout, rencontrent des regards qui ne sont pas ajustés. Il faut avoir conscience de ça, ne pas se faire trop d’illusion et puis en même temps voir comment on va vivre avec ça, comment on va l’assumer sereinement. C’est aussi normal d’avoir peur au fond. La famille confrontée au handicap elle a peur. Celui qu’elle croise dans la rue, à l’école, il peut avoir peur, il peut être déstabilisé, il peut avoir une inquiétude. Et ce regard des autres qui en première approche peut nous inquiéter ou nous révolter, il faut aussi le comprendre comme une réaction qui n’est pas forcément si anormale que ça. Et l’autre aussi a besoin de temps pour accueillir cette réalité du handicap.
La peur du long terme
Une des inquiétudes c’est le long terme. Accueillir la mauvaise nouvelle, accueillir peut-être cet enfant bébé, grandir avec lui dans l’amour d’une famille ce sont des choses qu’on peut peut-être concevoir. Mais l’inquiétude des années qui passent, de la personne souffrant d’un handicap qui grandit, des parents qui vieillissent. Que va-t-il se passer plus tard ? Quelle charge pour les frères et sœurs dans 30 ans, dans 40 ans, dans 50 ans ? C’est vrai que cette question-là est aussi très présente. Beaucoup de familles vont réagir en s’investissant elles-mêmes dans la création, le soutien, l’aide à des structures qui prennent en charge ces personnes souffrant de handicap pour assurer l’avenir à la fois pour leur enfant et pour les autres. Donc il y a une réponse à ça qui est une réponse là aussi qui s’inscrit dans le temps, dans la durée et qui est une réponse de solidarité commune avec d’autres familles. Oui la société est solidaire et oui on trouve beaucoup de solidarité. Mais oui aussi cette inquiétude du temps, et cette inquiétude de : que va devenir mon enfant plus tard ? Et aurai-je la force ? Et qu’allons-nous devenir ensemble ? Et comment allons-nous vieillir ? Cette inquiétude est très présente dès les premiers instants, dès la toute première annonce. C’est une des questions qui vient tout de suite.
Je pense qu’avoir conscience que c’est normal de se poser cette question, que c’est normal d’avoir cette inquiétude, ça peut aider à mieux se positionner par rapport à ça.